Nous parlerons ici uniquement du terme instrumentalisme utilisé en épistémologie. Pierre Duhem*, opposé à toute interprétation matérialiste et réaliste de la chimie et de la physique,  proposa, en 1908, une conception que l'on qualifie  « d'instrumentaliste », ce qui signifie purement opératoire et non réaliste. La science ne devrait pas chercher à décrire la constitution du monde, mais proposer des théories concernant les phénomènes, théories qui permettent des prédictions. Cette position ressemble à celle du positivisme, mais Duhem accentue l'orientation positiviste et ajoute que le but de la recherche est la simplicité, l'économie des moyens et la généralité d'application, indépendamment de l'adéquation avec le monde.

L'instrumentalisme interdit complètement toute hypothèse ontologique sur la constitution de l'Univers. Une théorie, pour un instrumentaliste, doit être simplement « empiriquement adéquate », il n'est pas nécessaire de la tenir pour vraie au sens de « en adéquation avec le réel ». On s'en tient à la concordance entre les faits et la théorie sans se prononcer sur le réel en soi. Le but des théories scientifiques est uniquement d'offrir des prédictions valides, elles n'ont pas à être « vraies » ou « réalistes », mais seulement à être prédictives.

Le terme un peu étrange « instrumentalisme » proposé par Pierre Duhem, vient du fait que les théories sont vues que comme des instruments. On dit aussi que la théorie est une « convention », qu'elle est  « commode » pour expliquer les faits. La conception instrumentaliste reste d'actualité en épistémologie, car elle est suffisante et efficace. On peut lui préférer un réalisme ontologique prudent : si le réel existe, les sciences indiquent probablement quelque chose sur lui. Karl Popper** défend le réalisme contre l'instrumentalisme dans Conjectures et réfutations. Même si les théories scientifiques évoluent pour se conformer à la réalité, la nouvelle théorie est malgré tout plus proche de la vérité que celle qu'elle remplace. On peut aussi soutenir qu'au travers des sciences, une approche du réel est possible.

 

* Pierre Duhem, Sauver les phénomènes. Essai sur la notion de théorie physique de Platon à Galilée. Sozein ta phainomena, Paris, Vrin, 2005.

** Karl Popper, Conjectures et réfutations. La croissance du savoir scientifique, Paris, Payot, 1985.