Revue philosophique

Les disciplines scientifiques naissent grâce à la mise au point d’un accès empirique à une partie du monde. Elles désignent ainsi le référent premier auquel elles vont s’intéresser. C’est un préalable à la construction de la discipline. Cette première étape de simple désignation (désignation de quelque chose dont on va s'occuper selon la méthode scientifique appropriée) est déjà complexe. 

Désigner un référent pertinent et relativement précis est le premier pas de toute aventure scientifique et permet à une nouvelle discipline de naître. Cette démarche consiste à saisir divers aspects de la réalité ayant une cohérence et une stabilité suffisantes, ce qui se produit à un moment de l’évolution des idées et des techniques.

Donnons deux exemples dans le domaine biologique, celui de l'histologie et celui de la cytologie. 

L’histologie devient possible après que Xavier Bichat, vers 1800, ait désigné un nouveau référent, les « tissus », qu’il a individualisés pratiquement et théoriquement. Il a produit une découpe et désigné quelque chose de nouveau dans la réalité. Après cette première désignation, d’autres chercheurs peuvent remettre en œuvre le concept et l'expérience, et travailler sur les tissus dans les organismes vivants. Au fil du temps, les concepts et les pratiques vont s'affiner, se préciser, constituant les objets relativement définis et stables qui caractérisent l'histologie. Dans le même domaine, un autre référent a été désigné, vers 1879, par Théodor Schwann, la cellule constitutive des tissus et commune à tous les vivants à partir d'observations microscopiques et de comparaisons entre les divers tissus animaux et végétaux. Une autre discipline scientifique s'est individualisée : la cytologie.

Quelle leçon tirer de ces exemples ? Une combinaison de considérations empiriques et théoriques permet, à un moment donné de l'évolution de la connaissance, de désigner dans l'univers quelque chose qui peut être étudié. Bien vite, le référent se transforme en objet de science (au sens constructiviste du terme) par combinaison d'une méthode et d'une théorisation le concernant.

Le référent est une partie (un aspect) du monde qui a été identifiée (partie stable et constante à notre échelle) grâce à des faits empiriques mis en évidence par un embryon de méthode et une avancée conceptuelle.

Si le référent a été correctement identifié, il fait le lien au cours des évolutions théoriques et éventuellement entre les paradigmes successifs de la discipline qui s'en s’occupe (c'est la conception dite externaliste, soutenue par Hilary Putnam, 1975). On peut soutenir un certain externalisme en philosophie des sciences. Toutefois, l'externalisme doit être tempéré pour deux raisons  : - les faits sont relatifs à l'expérience et le réalisme spontané est une illusion  - le référent amorce la construction de l'objet qui est sans cesse reconstruit par l'activité scientifique.